Les graves lacunes d’une mesure statistique

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Par Moubarack LO, Ingénieur statisticien-économisteEconomiste en Chef du Premier ministre Email : moubaracklo@gmail.comDakar Sénégal

L’indice de qualité de vie des villes est une mesure proposée par The Economist Intelligence Unit (EIU), qui est la division d’analyse et de recherches du journal britannique The Economist. En 2018, l’indice a été calculé, selon ses auteurs, à partir d’une enquête menée dans 140 villes dans le monde. Il est sensé évaluer les villes offrant les meilleures conditions de vie à leurs populations. Cet indice est calculé sur la base de 30 variables qualitatives et quantitatives regroupées en cinq (5) critères que sont : (i) la stabilité du pays, (ii) le niveau des prestations de santé publique, (iii) la culture et l’environnement, (iv) l’éducation et (v) les infrastructures. Le premier constat du classement effectué est que seules treize (13) capitales africaines sont inclues dans l’échantillon, sur un total de 140 villes dans le monde (soit environ 9% de l’échantillon, tandis que l’Afrique regroupe 28% des pays du monde, soit trois fois plus que dans l’échantillon). Il s’agit de Johannesburg (capitale économique de l’Afrique du Sud), Pretoria (Afrique du Sud), Tunis (Tunisie), Casablanca (capitale économique du Maroc), Nairobi (Kenya), le Caire (Egypte), Lusaka (Zambie), Abidjan (Côte d’Ivoire), Dakar (Sénégal), Harare (Zimbabwe), Alger (Algérie), Tripoli (Lybie) et Lagos (Nigeria). L’échantillon surreprésente donc les capitales des pays développés tels que les Etats-Unis, l’Australie, la Nouvelle Zélande et les pays européens. Ceci introduit un énorme biais statistique en faveur des villes des pays développés. Le deuxième problème posé par l’échantillonnage choisi par l’EIU, c’est qu’il compare des villes situées dans des pays au niveau de dé- veloppement très différents. Hormis le critère de stabilité politique, tous les autres critères utilisés dans le calcul de l’indice sont fortement corrélés au stade de développement dans lequel se trouve le pays de la ville concernée. Le classement est donc prédéterminé dès le départ ; les villes des pays riches étant forcément en tête de liste, même si l’ordre varie entre elles d’une année sur l’autre. Ainsi, Dakar ne pourra se retrouver dans le premier lot des dix pays dits les plus vivables que lorsque le Sénégal sera compté parmi les pays riches. L’établissement de classements continentaux aurait été plus judicieux et aurait permis de valoriser des critères de qualité de vie plus spé- cifiques aux différents continents. Le troisième et plus sérieux problème posé par l’indice de l’EIU, c’est le manque de crédibilité de la méthodologie de collecte des données. Selon l’EIU, le « rating » (évaluation) se fait en mobilisant des experts et des correspondants basés dans chaque ville. Ce dont il est loisible de douter. En effet, ni les scores de Dakar, dans chacun des cinq critères de l’indice de l’EIU, ni son score global n’ont changé d’un seul chiffre, entre 2015 et 2018 (voir tableau 1 ci-dessous).   Cela voudrait dire, qu’entre 2015 et 2018, ni la santé, ni la culture, ni l’environnement, ni l’éducation, ni les infrastructures n’ont bougé d’un iota.  Ce qui pourrait conduire à penser que l’EIU ne réaliserait pas ses enquêtes avec le même sérieux dans tous les pays, créant ainsi un autre biais statistique en défaveur des villes des pays moins développés, surtout pour ce qui concerne leurs scores (le classement étant moins affecté à court et moyen termes). Au terme de cette brève analyse, l’on retient que plusieurs questionnements se posent quant à la fiabilité d’une telle méthodologie de notation ne respectant guère les exigences d’une bonne démarche statistique. Elle renvoie des messages anormalement négatifs sur les villes des pays africains qui réalisent, jour après jour, des progrès dans l’amélioration de la qualité de vie, en ayant pleine conscience qu’il leur reste beaucoup à faire pour arriver au but

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