La 14e édition de la Biennale de l’Art contemporain africain de Dakar pourrait se tenir vers la fin d’année de cette année 2020, si, et seulement si les conditions sont favorables nous confie Mme Marième Ba, Secrétaire générale de la Biennale de Dakar. Dans cet entretien Marième Bâ revient sur les motifs du report de la 14e édition qui devait se tenir du 28 mai au 28 juin. Elle conditionne l’organisation de cette grande rencontre culturelle et artistique à la maîtrise de la pandémie et la reprise des activités au plan national et international.
Madame Marième BA, l’organisation de la 14e édition de la Biennale de l’art contemporain africain de Dakar prévue du 28 mai au 28 juin 2020 a été finalement reportée, sur la décision du ministre de la Culture, face à l’expansion de la pandémie de la Covid 19. Comment avez-vous vécu cette situation inédite en tant que Secrétaire générale de la Biennale de Dakar ? A quel moment avez-vous senti que le report de la biennale était inévitable ?
La décision des autorités gouvernementales sénégalaises de décaler ce rendez-vous international majeur qu’est la Biennale de Dakar fait suite aux mesures préventives prises par le Gouvernement de la République du Sénégal dans le but de lutter contre la propagation de la maladie Covid 19 et de préserver la santé des populations. Parmi celles-ci, il est fait mention de la suspension des manifestations publiques et de l’interdiction des regroupements dans les endroits ouverts ou clos. Cette décision lucide, sage et responsable a été prise dès le 19 mars dernier, après concertation avec le Comité d’orientation de la 14ème édition de la Biennale de l’Art africain contemporain, présidé par Maitre Amadou Moustapha NDIAYE, considérant la nécessité d’arrêter les activités culturelles artistiques dans le cadre des mesures de prévention strictes, mises en œuvre pour endiguer la circulation de ce virus incontrôlable.
Comment réagissent les milieux culturels, artistes et professionnels des arts devant ce report qui bouleverse leur propre investissement créatif ainsi que l’agenda culturel international ?
Il faut saluer les efforts consentis par les acteurs et opérateurs culturels pour faire face et combattre au mieux la pandémie de la Covid 19 que le monde est en train de vivre. Vous savez, avec cette crise sanitaire, économique, environnementale, nous vivons une période d’incertitude pour le monde des arts et de la culture, particulièrement pour ce que j’en sais dans les secteurs des arts visuels et du spectacle vivant. Mais il ne faut pas oublier que la source de l’art se trouve dans cette capacité des créateurs à se détacher d’une situation, à se surpasser pour réinventer la vie, recréer des liens. La crise de la Covid 19 inédite indique qu’il faut revoir la marche de notre monde et c’est le moment, le temps de l’artiste qui s’est toujours soucié de ce qui se passe, des enjeux de notre environnement. Par ses aptitudes d’anticipation, d’imaginer le monde à venir, la communauté artistique peut participer à une reprise rapide et salutaire des activités si la pandémie est contenue, puis jugulée à moyen terme. Comme vous le dites, tout l’agenda des grandes manifestations internationales est chamboulé, avec des reports, des annulations d’édition de grandes biennales, labellisées et affiliées à l’Association internationale des Biennales IBA, de festivals, d’évènements culturels et sportifs d’envergure. Certains rendez- vous ont été reprogrammés pour au plus tôt juin 2021, sinon 2022. Les meilleurs exemples ce sont les JO de Tokyo déjà renvoyés pour fin juillet 2021qui semblent ne plus pouvoir se dérouler, même à cette bonne date selon les autorités japonaises et le CIO, et le festival international du film de Cannes qui n’aura pas lieu en 2020.
La Biennale a été ainsi brutalement stoppée. Quelles sont les conséquences immédiates de ce report sur l’organisation de cette rencontre artistique et culturelle ?
Le Comité d’orientation et le Secrétariat général ont approuvé tout le processus de programmation de cette 14ème édition de la Biennale de Dakar qui a été ficelé en accord avec la direction artistique et les Commissions techniques. La direction technique et les scénographes associés ont travaillé sur toutes les expositions officielles. Des projets spéciaux et près de 400 manifestations d’environnement communément appelés « OFF » devaient être montés à Dakar et dans les autres régions, sans compter les rencontres scientifiques et professionnelles auxquelles participent marchands d’art, curateurs, conservateurs de musées, artistes, galeristes, collectionneurs, universitaires, partenaires techniques et financiers, amateurs d’art, touristes. Le grand public était convié à ces festivités marquant les trente années de la Biennale de Dakar. Cela veut dire qu’effectivement le budget prévisionnel d’organisation a déjà été entamé. Ce budget alloué à hauteur de 75 % par l’état a permis de régler les prestations intellectuelles, celles liées à la communication et à la promotion de l’évènement, les travaux préparatoires d’aménagement des sites et espaces d’exposition, les assurances et droits, l’animation, le transport international des œuvres et des participants invités, l’accueil et l’hébergement de ces derniers, les programmes éducatifs et pédagogiques pour une ouverture officielle initialement prévue le 28 mai 2020, sous la présidence effective de son Excellence le Président de la République du Sénégal et les hauts représentant des pays invités que sont les républiques de Chine et d’Ethiopie, les institutions internationales partenaires, ainsi que les artistes sélectionnées depuis octobre 2019 pour l’Exposition internationale. Il faut également considérer les nombreuses initiatives prises par les opérateurs privés pour accompagner le programme officiel « In » de la Biennale et les dépenses qu’ils ont déjà engagé pour la location, le transport des œuvres et des artistes et d’autres charges liées à l’organisation d’expositions ou de spectacles.
Le ministre de la Culture et de la Communication Abdoulaye Diop en prenant la décision du report de la biennale, a donné un rendez- vous dans un avenir proche aux biennalistes, cela pourrait-il être d’ici à la fin de l’année en cours ?
Toujours par décision des autorités compétentes, il ne serait pas exclu pour la fin de l’année 2020 si toutes les restrictions sanitaires et les mesures de protection sont levées et que les conditions d’activités économiques, sociales, de commerce et d’organisation sont réunies pour tenir la plus panafricaine des biennales d’art contemporain. A partir de ce moment, compte tenu de plusieurs de ces paramètres il va falloir redimensionner le projet artistique de l’édition 2020, tout en gardant le concept retenu dans toute son essence, le caractère inédit et innovant du programme initial validé, avec une palette de nouvelles initiatives riches et diversifiées, ouvertes à l’ensemble du secteur de la culture et des industries créatives. Vous pensez à quoi quand vous parlez de redimensionnement du projet artistique de l’édition 2020 ? En ces temps de Covid-19, il ne fait aucun doute que si elle a lieu en cette fin d’année, la biennale de Dakar ne se déroulerait pas sous sa forme habituelle, classique. Nous penserions à un nouveau format à donner à cette édition exceptionnelle avec un nombre réduit d’expositions à monter, des évènements ponctuels et des manifestations d’accompagnement par exemple à revoir.
Quels indicateurs seront déterminants, selon vous, pour la fixation d’une nouvelle date de la 14e Biennale de l’Art africain contemporain de Dakar ?
L’évolution de la circulation de la maladie, les conditions de sécurité sanitaire pour la contenir, l’observation des recommandations sur les mesures restrictives au niveau national et international, l’ouverture des frontières aériennes et terrestres, les capacités d’accueil et d’hébergement, tous ces facteurs seront déterminants pour que les opérateurs, les artistes et les biennalistes puissent se déplacer de manière rassurée et participer à cette édition de la manifestation.
En perspective quels doivent être les axes de relance de cette 14e édition marquant les 30e ans d’existence et avec son ambitieux thème « Ĩ Ndaffa/ Forger/ Out of fire » ?
La Biennale de l’Art africain contemporain est une institution qui promeut les arts visuels en Afrique, depuis quatorze éditions de 1990 à 2020. Elle veut être une plateforme de rencontre et de confrontation, un espace de validation et de légitimation de la création artistique africaine contemporaine. Elle est aussi un cadre de réflexion, de méditation et de valorisation des esthétiques africaines qui sont, par essence, complexes, métisses. Pour matérialiser une Afrique positive dont le destin est de jouer sa partition dans le concert des nations, le thème général retenu de la 14e édition est « Ĩ NDAFFA/FORGER/OUT OF THE FIRE ». Au niveau conceptuel, il s’agit, selon le Docteur El Hadji Malick NDIAYE, Directeur artistique, de construire de nouvelles épistémologies, de nouvelles écritures plastiques, de nouveaux savoirs et savoir-faire qui intègrent aussi bien les lectures africaines du monde que celles des autres aires géographiques et culturelles. Il s’agit de forger de nouveaux outils partagés et susceptibles de nous aider à relever les défis contemporains liés aux questionnements sur la vie, à la préservation de l’environnement, ainsi que la construction d’un sens dynamique pour appréhender toute la complexité du monde. Ensuite les Rencontres-Echanges sous la férule du Professeur Felwin SARR, doivent être un temps fort de débats intellectuels au cours duquel le thème de la Biennale sera analysé et discuté par des artistes, des universitaires, des curateurs et des historiens de l’art. Ce thème énonce aussi bien la liberté de transformer que les multiples possibilités de créer. Il a été choisi pour mieux suggérer l’alchimie de la forge et l’action transformatrice qui mène vers une nouvelle étape. Aussi, la quatorzième édition de la biennale de Dakar invite à la transmutation des concepts et à la fondation de nouveaux sens. Forger renvoie à l’acte de transformer quelque chose, le plus souvent du métal et dans plusieurs langues, il avait le sens, aujourd’hui tombé dans l’oubli, de créer, d’imaginer et d’inventer. C’est pourquoi je suis persuadée que la Biennale va contribuer à la reprise des activités et le redémarrage progressif de la vie sociale après la Covid 19. Déjà, cette édition de la Biennale veut être symbolique à travers une certaine démarche inclusive et une programmation riche et diversifiée qui comptent valoriser toutes les activités autour d’un objectif portant sur la promotion des arts et de la culture, du tourisme culturel et de découvertes. Le programme va mettre l’accent sur le potentiel économique de la Biennale, comme manifestation culturelle et artistique et œuvrer à la valorisation de la destination Sénégal. Et de multiples projets proposés par le Directeur artistique et ses commissaires invités, les notes conceptuelles des curateurs des trois pavillons nationaux ont eu pour fil conducteur de mobiliser le public et de repousser les limites pour que la Biennale se découvre partout dans l’espace urbain dakarois. Mis en cohérence avec le thème général de la Biennale de Dakar « Ĩ’Ndaffa » Le prétexte des projets curatoriaux des pavillons nationaux est d’offrir une vitrine de choix à la création plastique contemporaine permettant de valoriser la créativité, de crédibiliser et de renouveler les pratiques artistiques et esthétiques en cours en Afrique et dans le reste du Monde. Je suis sûre que la 14e édition de la biennale aura lieu lorsque toutes les conditions de tenue seront réunies. Il y va de la pérennité de ce grand évènement qui est une commande à la fois de la grande communauté artistique et culturelle panafricaine et de l’Etat du Sénégal. Et non seulement il est avéré qu’elle constitue un secteur à forte valeur ajoutée, mais en encore aujourd’hui plus que jamais, nous avons besoin de la culture qui nous rend résilients et nous donne de l’espoir. C’est le lieu de remercier les artistes sélectionnés pour l’exposition internationale, les porteurs des projets spéciaux, d’autres artistes, tous très créatifs, qui spontanément acceptent de participer à l’animation des plateformes numériques et des réseaux sociaux de la biennale pour entretenir la flamme du Dak’Art.