L’EMERGENCE DU SENEGAL A L’EPREUVE DE LA COVID-19 Quels scenarii pour 2023 ?

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❒ Par Moubarack LO, Directeur général du Bureau de Prospective Economique (BPE) et
Amaye SY, expert sénior au BPE

La pandémie Covid-19 provoque tout à la fois un choc sanitaire terrible et une crise économique mondiale.
Selon le FMI, l’économie mondiale connaîtrait, en 2020, «sa pire récession depuis la Grande Dépression»,
dépassant celle de la crise financière mondiale de 2008-2009. Pour sa part, l’Afrique subsaharienne a
enregistré au cours des 3 mois se terminant en mai 2020, un niveau de contraction de l’activité économique
jamais connu. Dans l’UEMOA, selon les estimations, la croissance économique de l’Union devrait chuter
de près de la moitié pour l’année 2020.

Le Sénégal subit lourdement les consé-
quences économiques et sanitaires

de la pandémie Covid-19. Avec 10.715
cas confirmés enregistrés au 6 août 2020, les
infections continuent d’augmenter jour après
jour, à un rythme qui ne faiblit pas (triplement
en deux mois), de même que le taux de décès
qui a quasiment doublé entre le 1er juin et
le 6 août 2020, passant de 1,1% à 2,08%. Et,
aujourd’hui, l’incertitude est le mot qui

convient le mieux pour décrire l’évolution fu-
ture de la Covid-19 dans le monde en général,

et au Sénégal en particulier.

Sur le plan économique, les premiers indi-
cateurs disponibles pointent vers un fort ra-
lentissement de l’économie sénégalaise. Pour

l’année 2020, le taux de croissance du PIB
projeté par le Gouvernement est fortement

revu à la baisse (à 1,1%, contre 6,8% précé-
demment), tout en le maintenant positif,

grâce aux effets attendus du Plan de résilience
économique et sociale (PRES) et du Plan de
relance économique qui doit être publié dans
les prochains jours. Il n’empêche qu’à moyen
terme, de grosses inquiétudes pèsent sur la
mise en œuvre réussie de la seconde phase
du PSE (2019-2023).

A cet effet, le Bureau de Prospective Econo-
mique (BPE) a effectué un travail exploratoire

permettant de dessiner des scenarii d’évolu-
tion possibles de la trajectoire d’émergence

du Sénégal à horizon 2023, en identifiant les
facteurs de succès associés à la dynamique
la plus favorable. De fait, cette trajectoire est
tout aussi incertaine que l’est l’évolution de
la situation sanitaire.
Au demeurant, le diagnostic du Sénégal sur

la base de la théorie et des indices d’émer-
gence établis par Moubarack LO (Harmattan

2017) révèle qu’en 2018, le pays réalise une
performance relativement satisfaisante dans

l’indice synthétique d’émergence écono-
mique (ISEME) et se hisse pour la première

fois dans la catégorie des pays dits « pré émer-
geants ». Toutefois, la dynamique future sera

tributaire du scénario sanitaire et des choix
de comportement des acteurs nationaux :
Etat, Secteur privé et ménages.
L’analyse des comportements possibles de
ces trois acteurs selon le scénario sanitaire

a permis de définir des hypothèses écono-
miques prospectives desquelles découlent

trois scénarii d’émergence.
Dans Scénario 1 (« Le PSE est remis sur les

rails »), le contexte sanitaire est celui du scé-
nario vert de fin rapide de la Covid-19 au Sé-
négal. Il y est anticipé une croissance

moyenne de 6% par an entre 2019 et 2023
(soit un taux moyen d’environ 8% entre 2021
et 2023, sachant l’acquis de 2019 et 2020) et

le taux de pauvreté passerait de 37,8% en

2018 à 31,88% en 2023. Le contexte interna-
tional et africain est favorable à la fois sur les

plans sanitaire, économique, politique et sé-
curitaire. Les capacités de mobilisation des

ressources et de dépenses de l’Etat sont

conformes aux prévisions du PSE 2. L’inves-
tissement du secteur privé, soutenu par la

mise en œuvre des réformes par l’Etat, le
maintien de la motivation et de la productivité

des travailleurs, renforce la dynamique en-
clenchée durant la phase 1 du PSE. Le score

ISEME du Sénégal enregistre un bon de 6

points par rapport au celui de 2018, pour at-
teindre 0,57 sur un total possible de 1, per-
mettant au Sénégal d’envisager de devenir

un pays émergeant dès 2025, profitant du
démarrage de l’exploitation du pétrole et du

gaz. Toutes les dimensions de l’ISEME réali-
sent de fortes avancées.

Dans le Scénario 2 (« Le PSE est partiellement
mis en œuvre »), le contexte sanitaire est celui
du scénario jaune de poursuite modérée des
infections et des décès liés à la Covid-19. La
croissance économique moyenne ressort à
4% par an entre 2019 et 2023 et le taux de
pauvreté passe de 37,8% en 2018 à 35,6% en

  1. Les capacités de mobilisation des res-
    sources et de dépenses de l’Etat sont moyen-
    nement conformes aux prévisions du PSE 2.

L’investissement du secteur privé ralentit par

rapport à sa dynamique d’avant crise. Les ré-
formes de l’Etat sont partiellement mises en

œuvre et le contexte sanitaire affecte la mo-
tivation et la productivité des travailleurs. Le

score ISEME du Sénégal affiche un léger pro-
grès en 2023 (0,53 contre 0,51 en 2018) à la

faveur de la hausse de performances dans

les dimensions « richesse inclusive » et « trans-
formation structurelle ».

Dans Scénario 3 (« Le PSE est déréglé »), le
contexte sanitaire est celui du scénario rouge
d’aggravation de la Covid-19. La croissance
économique moyenne se situe à 1% par an

entre 2019 et 2023 et le taux de pauvreté aug-
mente, passant de 37,8% en 2018 à 39,2%

en 2023. Les capacités de mobilisation des

ressources et de dépenses de l’Etat sont fai-
bles relativement aux prévisions du PSE 2.

L’investissement du secteur privé interrompt
brutalement sa dynamique d’avant crise. Les
réformes de l’Etat sont faiblement mises en

œuvre et le contexte sanitaire affecte forte-
ment la motivation et la productivité des tra-
vailleurs. Le score ISEME du Sénégal affiche

un recul en 2023 (0,44 contre 0,51 en 2018).
Pour garantir le succès du scénario favorable
(PSE remis sur les rails), les actions suivantes
sont attendues :
• L’Etat devra mener un important effort

d’investissement et de réformes pour per-
mettre la matérialisation de ce scénario ;

• Dans le domaine des infrastructures, les

investissements de la phase 1 du PSE de-
vront être poursuivis pour soutenir acti-
vement et efficacement le secteur pro-
ductif ;

• Dans le domaine de l’agriculture, les efforts
devront être renforcés pour augmenter la
productivité. Les investissements dans le
domaine de l’agriculture pourraient
concerner entre autres la mise en œuvre
des agropoles, le renforcement des actions
de modernisation du matériel agricole et

des semences dans le programme agri-
cole, la promotion de nouveaux entrepre-
neurs jeunes avec l’appui d’instruments

de financement comme la DER ;
• Dans le secteur de l’industrie, l’Etat devra

accélérer la mise en œuvre des plate-
formes industrielles, des agropoles et des

paris industriels prévus dans la phase 2
du PSE. L’Etat pourrait envisager d’aligner
les exigences d’exportations assignées aux

entreprises dans les différentes Zones Eco-
nomiques Spéciales et promouvoir l’im-
port-substitution dans ces zones ;

• Dans les secteurs sociaux, l’Etat devra ac-
centuer ses actions pour garantir une crois-
sance économique inclusive et soutenable,

en veillant à relever fortement les indicateurs
dans le secteur de l’éducation et de la santé,
y compris au niveau désagrégé par zone
géographique et selon le genre ;
• Dans le numérique, l’Etat devra soutenir
l’élargissement de l’accès et de l’utilisation
des services numériques, en particulier
de l’Internet haut débit, pour promouvoir
l’esprit d’entreprise, l’inclusion financière

et le développement d’une économie nu-
mérique inclusive ;

• En matière de réformes, le scénario favo-
rable anticipe la mise en œuvre des ré-
formes ambitieuses prévues dans la se-
conde phase du PSE. Elles porteront

principalement sur l’environnement des

af¬faires, la fiscalité, l’énergie, l’Adminis-
tration publique, le système éducatif et

l’écono¬mie numérique ;
• Du côté du secteur privé, l’investissement
privé devra se poursuivre et renforcer sa

dynamique haussière, appuyé par les re-
formes et les investissements de l’Etat, la

croissance du financement bancaire, le

dynamisme des marchés intérieurs et ex-
térieurs, la santé et la productivité préser-
vées des travailleurs. Cette expansion de

l’investissement devra aller de pair avec
une préservation de l’emploi voire sa
hausse.

En définitive, le succès du PSE 2 suppose de
réussir trois étapes.
La première étape consiste à sauver le tissu
économique de la faillite, en lui accordant
un appui rapide ciblé. Ce fut l’objet du PRES
dont l’exécution a démarré en avril 2020 et

qui a permis de mobiliser d’importantes res-
sources au niveau international ainsi qu’un

moratoire pour le remboursement de la dette
publique. Ces ressources ont été affectées à

la santé, aux ménages et aux secteurs éco-
nomiques les plus durement touchés par la

pandémie. La deuxième étape, et le deuxième

temps de la stratégie économique d’adapta-
tion à la Covid-19, va être enclenchée avec

la mise en œuvre imminente du Plan de Re-
lance qui a pour objectif de favoriser, entre

2020 et 2021, le redémarrage de l’activité éco-
nomique ralentie par le choc Covid-19, en

convainquant le secteur bancaire local à jouer

sa part dans le financement des investisse-
ments et du fonds de roulement du secteur

privé. Elle se manifestera par un taux de crois-
sance légèrement positif en 2020 (au moins

1,1%) et au moins égal à 5% en 2021.
La troisième étape, celle du grand rebond,
aura pour ambition de remettre pleinement

sur pied le Sénégal sur la trajectoire de l’émer-
gence, en portant, dès 2022, les taux de crois-
sance économiques à des niveaux supérieurs

à 8% par an sur la durée. Elle exigera de re-
penser le plan d’actions du PSE et de définir

un « nouveau modèle de développement na-
tional » qui consolide les grands choix stra-
tégiques à long terme du PSE, tout en iden-
tifiant de nouveaux moteurs de croissance

et de nouveaux débouchés, au niveau inté-
rieur et africain, pour les produits locaux.

Ce faisant, le Sénégal aura réussi à transfor-
mer la crise Covid-19 en opportunité pour se

réinventer.

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