Tripoli a été récemment le théâtre d’un incident diplomatique désobligeant provoqué par le ministre grec des affaires étrangères, Nikos Dendias, qui a refusé de respecter la souveraineté de la Libye. A son arrivée à l’aéroport de Mitiga, il a voulu imposer à la diplomatie libyenne ses propres normes en lui dictant le choix de la personne qui devrait l’accueillir à sa descente de l’avion, méprisant ainsi et avec arrogance les normes diplomatiques internationalement établies.
Un tel comportement, aussi peu judicieux qu’absurde, dénote un manque de sincérité et d’engagement à soutenir la recherche de solution à la crise libyenne par des élections justes et transparentes qui mettront fin à toute transition politique et propulseront le pays dans une nouvelle ère placée sous l’enseigne de la sécurité et de la prospérité. L’attitude de la Grèce pourrait, à travers cet acte, être vue comme un encouragement de la division en Libye et un manque de respect à l’égard de l’Autorité libyenne internationalement reconnue incarnée par le gouvernement d’unité nationale.
Certains lecteurs qualifieraient de puérilité politique le fait que le Ministre grec des affaires étrangères n’est pas descendu à Tripoli, la capitale, alors qu’il était là dans le cadre d’une visite lors de laquelle il était prévu qu’il rencontre le président du Conseil présidentiel dans la matinée du jeudi 17 novembre 2022. Une attitude puérile et imprudente vis-à-vis d’un pays méditerranéen africain et arabe qui possède un long littorale d’environ 1700 km sur la côte méditerranéenne et partage des frontières maritimes avec la Grèce. Toutefois, pour un observateur averti il pourrait plutôt s’agir d’une réaction hâtive de la part de la Grèce qui manifeste ainsi son mécontentement par rapport aux excellentes relations économique, sécuritaire et politique entre la Libye et la Turquie. Ignorant sciemment les relations profondes et historiques existantes entre la Libye et la Turquie qui ont des intérêts communs, la Grèce immisce le conflit opposant Athènes à Ankara sur leur frontière méditerranéenne dans sa relation avec la Libye, faisant fi, par conséquent, du fait que la Libye est un pays indépendant qui, malgré la situation qu’elle traverse, ne dépend nullement d’aucun autre pays. Elle n’a d’ordre à recevoir d’aucun pays quant à la forme de relation qu’elle devrait entretenir avec un autre pays, notamment lorsqu’elle décide de prendre en charge ses propres affaires et veiller à ses intérêts.
Quel serait donc le message que le ministre grec des affaires étrangères voulait envoyer, alors qu’il sait consciemment que le gouvernement et la présidence qui forment le pouvoir exécutif partagent les mêmes compétences et obligations conformément aux dispositions de la Feuille de route et des résolutions du Conseil de Sécurité ? D’ailleurs le monde les considère comme un seul organe, comme le réaffirme la politique de l’Union européenne qui est pour le respect des échéances fixées par la Feuille de route et la fin de la transition !
D’autre part, certaines opinions biaisées soutiennent sur les médias sociaux que la déclaration du ministère des affaires étrangères libyenne qui rejette les agissements grecs n’est qu’une expression de colère et ne représente que la position personnelle de la Ministre Nagla El-Manqoush. De telles déclarations constituent une évidente preuve de personnalisation du traitement réservé à cette situation offensant à l’égard de la Libye. Un acharnement criard, parce qu’il s’agit d’une femme. D’aucuns en Libye tentent même délibérément de stéréotyper la Ministre comme étant une femme faible et émotive incapable d’adopter une position équilibrée et professionnelle. Il s’agit là d’un point de vu commun entre du responsable grec et certains adversaires politiques libyens de la Ministre.
Ces gens-là ignorent que dans tous les pays c’est le ministre des affaires étrangères qui est le chef de la diplomatie, et que c’est lui qui représente son pays dans les instances internationales. C’est lui aussi qui va à la recherche de coopération au profit de ses concitoyens et ouvre les horizons d’intérêt commun. Il échange de poignées de main avec les dirigeants des autres nations, discute avec ses homologues et est le premier ambassadeur de son pays dont la mission et de transmettre une image claire de la nature, des traits de son pays et de la situations qui y règne et veille sur ses intérêts. Madame Nagla Al-Manqoush faisait partie des 12 femmes à travers le monde qui ont reçu le prix Women of Courage Award du Département d’État américain qui, chaque année depuis 2007, récompense les femmes qui font preuve de leadership, de courage et de sacrifice. Elle a également été en 2021 nominée dans la série 100 Women of Courage produite par la BBC depuis 2013 pour encourager les femmes persévérantes. Ses performances aussi à la tête du ministère des affaires étrangères, qui est le département le plus sophistiqué en Libye la font sortir du lot par rapport à ses homologues qui ont occupé ce poste durant ces dix dernières années.
Nous voyons, entendons et lisons constamment des prises de positions dont certaines sont conflictuelles ou fondées sur des préjugés, tandis que d’autres sont plutôt capricieuses et tentent de jeter un jugement sur les positions et politiques de la Ministre des affaires étrangères vis-à-vis de ses homologues arabes et étrangers. Il faut donc se poser les questions logiques suivantes : Quel est l’objectif d’El-Manqoush ? Pourquoi ce genre de prises de position à un moment aussi critique de l’histoire de la Libye qui traverse une situation politico-sécuritaire et économique aussi fragile ? On a vu, récemment, le ministre des affaires étrangères de la République arabe d’Égypte s’est retiré de la 158e session ordinaire des ministres arabes des affaires présidée par la Libye, pour la période septembre-mars 2022, selon l’ordre alphabétique des Etats membres de la Ligue arabes. Suivant cet ordre, à la fin de son mandat le Liban a cédé la présidence de la session à la Libye. Mais le ministre égyptien Sameh Shoukry qui réclamait la présidence pour son pays a adopté une position radicale s’opposant à ce que la Libye préside la session et a expressément exigé que la Libye “représentée par sa Ministre des affaires étrangères” renonce à la présidence, et laisse la place à l’Égypte qui était le prochain pays sur la liste selon toujours l’ordre alphabétique [arabe]. N’ayant pas eu gain de cause, il s’est, purement et simplement, retiré de la réunion au moment où El-Manqoush montait sur le présidium pour prendre la présidence au nom de la Libye. Une posture offensante à l’encontre de la diplomatie égyptienne et qui viole la charte de la Ligue arabe.
Là encore, la Ministre avait fermement exprimé le droit inaliénable de la Libye à assumer cette présidence. Il était à noter qu’avec l’absence de Libye pendant des années pour les raisons que nous connaissons tous, il était devenue une procédure de routine [que l’Egypte prenne la présidence à la suite du Liban]. C’est pourquoi Madame Nagla a tenu à ce que son pays réponde présente et prenne le lead ; convaincue qu’elle est que c’est un pas vers le retour à la normale. Oui, la Libye prend le lead, fait entendre sa cause et discute des enjeux de la région au plus haut niveau de représentation ! Pourquoi pas ? Et ce sera-t-il pour quand si ce n’est pas maintenant ?
De même, lors du sommet arabe qui s’est tenu en Algérie en novembre 2022, la Ministre a contribué avec pugnacité à la rédaction du point relatif à la Libye dans la Déclaration d’Alger après moult manœuvres et passe d’armes diplomatiques. Elle a insisté à avoir la meilleure formulation possible lors de sessions à huis clos et de discussions marathon avec ses homologues ministres qui sont tous des hommes. En effet, après la démission de la ministre soudanaise des affaires étrangères en novembre 2021, elle est devenue la seule femme arabe à ce poste, synonyme de plus de défis et de pressions. Madame Manqoush a insisté pour que les élections soient expressément mentionnées dans la Déclaration et que soient évitées toutes autres formulations équivoques qui conduiraient à une nouvelle transition en Libye. Car c’est cela la volonté du peuple libyen. Il était évident, lors de ces séances, qu’il y avait des tentatives de rendre vide le siège de la Libye, ce qui permettrait à certains pays de parler en son nom et de décider du sort des Libyens. L’exemple de la Syrie est assez éloquent.
Par conséquent, il nous faut aujourd’hui avoir une vue analytique panoramique sur l’ensemble des positions du gouvernement d’unité nationale et celles de la Ministre des affaires étrangères à l’échelle internationale, en commençant par la Conférence de l’Initiative pour la stabilité en Libye abritée par, Tripoli, en octobre 2021. A cette occasion, la Libye a accueilli une trentaine de pays arabes et étrangers représentés par leurs ministres des affaires étrangères, pour échanger sur la situation en Lybie ! On note aussi que la partie libyenne exige sa présence à toutes les tables de dialogue, de discussion ou de négociation à chaque fois qu’il s’agit de sa situation intérieure, et c’est cela qui manquait aux Libyennes et Libyens durant la dernière décennie. C’est l’intérêt national de la Libye qui devrait dicter sa politique étrangère, notamment sa présence à toute rencontre internationale la concernant. Personne ne devrait décider de notre sort.
L’on rappelle ce qui s’est passé lors de la conférence de Paris de novembre 2021 « quand le Conseil présidentiel a décidé, d’interdire à la Ministre de voyager », outrepassant ainsi ses prérogatives. Malgré tous les défis et remous politiques, l’absence de la Libye n’a pas été discutée. Par la suite, lors de nombreuses occasions où elle a été aux abonnés absents, on a vu la Libye enfin faire entendre sa voix après avoir été réduite au silence au cours de la décennie écoulée. Le ministère libyen des affaires étrangères doit être une institution neutre, exclusivement orientée vers la préservation des intérêts des Libyens et ne sert qu’eux. Il ne doit manquer aucune rencontre internationale sur la Libye tant que celle-ci cherche à renforcer la stabilité du pays.
Il convient de signaler que la qualité de représentante de la Libye qui lui est conférée ne signifie pas faire de la figuration. La position de la Libye a été toujours exprimée avec clarté. Il s’agit de mettre un terme à la transition et d’organiser des élections libres, et transparentes sur la base d’une Constitution consensuelle. Tout observateur avisé qui suit les activités de la Ministre voit clairement que dans ses discours et prises de parole elle ne cesse de réaffirmer la souveraineté de la Libye, et la nécessité de respecter la volonté du peuple libyen. Elle tient à rappeler à chaque fois que l’occasion se représente que les blocages que connait le processus politique est normal pour un pays qui a connu des conflits armés et traverse une phase de transition. Toutefois, cela ne voudrait aucunement dire que nécessairement la Libye doit toujours être engluée dans un carcan de conflits et de chaos. Toute phase de transition a son lot de défis et d’opportunités.
La Ministre a, à mainte reprises réitéré son ouverture à tous les pays amis et frères qui souhaiteraient ouvrir une ambassade en Libye, appelé à ce que les procédures de visa d’entrée soient facilitées aux Libyens pour tous les pays, et a soutenu les efforts visant à faire reprendre les vols commerciaux. Elle a aussi invité les entreprises et porteurs de projets à venir investir en Libye. Car pour elle la stabilité économique est l’un des facteurs les plus importants de la stabilité politico-sécuritaire, notamment pour un pays qui jouit d’énormes potentialités en termes d’espace, de ressources humaines et naturelles, de situation géographique, de climat tempéré et de grandes ressources énergétiques susceptibles de servir les intérêts économiques que partage la Libye avec ses voisins et les pays du monde.
Au cours des derniers mois, nous avons assisté à l’affluence de nombreuses entreprises internationales et arabes qui viennent étudier de près la situation en Libye et discuter des opportunités de coopération. Les compagnies aériennes tunisiennes et égyptiennes ont repris leurs vols, après des années d’interruption. Les compagnies Turkish airlines et Emirates ont annoncé leur retour imminent, à l’instar de Rynair qui va inaugurer incessamment une ligne pour desservir la Libye, De même qu’Air Malta qui vient d’ouvrir son bureau à Tripoli, il y a quelques jours. Certaines ambassades étrangères qui avaient quittée en 2014 sont aussi de retour ! Grace à cette nouvelle donne, ambassadeurs et consuls de plusieurs pays amis et frères sont revenus, ce qui est un signal diplomatique fort positif quant à la stabilité de la situation.
D’autre part, le gouvernement d’unité nationale, à travers le ministère des affaires étrangères, a exprimé de bonne foi son ouverture et sa volonté de recevoir et de travailler avec tout le monde pour servir les intérêts de la Libye et les pays partenaires. Il a toujours encouragé une diplomatie positive et sobre, en établissant des canaux de communication équilibrés avec tout le monde. Il a également souvent adopté des positions audacieuses et courageuses dans les instances internationales en ce qui concerne les dossiers des droits de l’Homme entre autres questions. Sa position est toujours basée sur « l’indivisibilité des principes qui voudrait que nous soyons intransigeants face à toutes les violations partout où elles se produisent ». Concernant la question de l’immigration illégale, la Ministre a exprimé dans plus d’un forum qu’il s’agissait d’une responsabilité internationale et pas seulement celle de la Libye. Tous les pays voisins et de la région font face aux mêmes craintes et menaces.
La position de la Libye consiste à dire clairement que la solution la plus réaliste est de faire en sorte que les conditions de vie soient améliorées dans les pays qui connaissent des vagues de départ de migrants. Car n’eut été l’absence d’opportunité et d’une vie descente dans les pays de départ, personne ne se jetterait dans les bras de l’inconnu sur terre et dans les océans ou il endure violence, faim et soif ! Les Etats riches et les organisations internationales doivent investir massivement dans les pays de départ, au lieu de lutter contre l’immigration et mener la vie dure aux migrants, ou de pointer un doigt accusateur aux pays en proie à des conflits et des crises internes, comme la Libye. Le message de cette dernière a toujours été clair : « Encourager le développement et investir dans ces pays au lieu de rejeter et de combattre les migrants qui en viennent”. Certains qualifient Al-Manqoush de « Sinbad » en raison de ses nombreux voyages, d’autres, pour rendre la situation plus complexe, l’accusent de faire preuve de négligence par rapport aux affaires internes. Certains iront même jusqu’à dire qu’elle n’a rien fait de bon ; elle n’est qu’une bulle médiatique. Cependant, ceux qui ont assisté à l’une de ses rencontres ou l’ont écouté lors de ses déplacements, l’ont entendu dire avec un ton ferme qu’il était nécessaire pour les hommes et les femmes de la Libye de décider de leur sort, insister sur le fait qu’utiliser les mêmes outils et solutions précédents ne fonctionnera pas, ce n’est qu’une perte de temps, une prolongation de la crise. Elle plaide pour le changement des discours international et local mélancoliques quand il s’agit d’aborder la situation libyenne. Pour elle, le pays est en phase de redressement et ne constitue pas un « cas désespéré », comme c’est le cas dans certains pays. Nous devons à la limite être fiers des petites réalisations qui améliorent et la sécurité et le quotidien du citoyen libyen, et bâtir sur ces petites avancées pour renforcer les notions de la paix et du vivre ensemble. Car les Libyens en ont marre de la guerre et des combats, et toute tentative d’allumer le feu de la guerre consumera tout le monde, pas seulement la Libye.
Pour conclure, on risque d’être long si l’on veut lister les détails de ce qui se passe dans les coulisses de la politique extérieure, mais ce qui apparaît dans les médias ou que les gens colportent n’est qu’une infime partie d’un angle de vue souvent tendancieux. Il existe d’autres angles qui reflètent mieux la vérité, et c’est ce que j’ai voulu exposer ici de manière ramassée, afin d’appeler les choses par leur nom et de rendre justice aux efforts nationaux incessants visant à redorer le blason de la Libye et à lui restaurer sa place d’antan dans les sphères internationales. Mon objectif est aussi de changer l’image qui a été imprimée durant ces dernières années dans la mémoire collective du monde sur la Libye de la guerre et la division !
L’on ne peut avoir des préjugés contre Madame Nagla Al-Manqoush et la cibler pour des raisons illogiques et lunatiques, sans au préalable faire un inventaire de la situation générale que vit la Libye d’aujourd’hui et la position du ministère des affaires étrangères qui est là pour veiller sur les intérêts des Libyens. Nous devons soutenir sa position, d’autant plus qu’elle est ouverte d’esprit et accepte remarque et observations et est prête à discuter de tous les plans qui contribuent au développement du ministère des affaires étrangères et offrent une opportunité aux jeunes cadres et professionnels qui veulent travailler et servir les intérêts de la Libye et des Libyens.