❒ Par Dr Yoro DIA *
Quand la mémoire va chercher du bois
mort, elle ramène le fagot qui lui
plait » disait Birago Diop dans sa
grande sagesse. La mémoire de Boubacar
Boris Diop, Felwine Sarr et de Mbougar Sarr
est partie chercher du bois mort et elle a apporté le fagot qui lui plait.
Cette volonté de choisir le fagot qui plait est
la plus grande faiblesse intellectuelle de leur
texte commun malgré l’immense qualité intellectuelle des auteurs. Mais pris individuellement, ils confirment ainsi Max Weber qui
disait : « Les associations de savants dès
qu’elles discutent de la paix et de guerre, sont
des associations politiques non scientifiques
» parce que « prenant une position politique,
on cesse d’être savant » car on n’est plus dans
la « neutralité axiologique » qui faut-il le rappeler doit être consubstantielle à la démarche
de l’intellectuel ou du savant. Cette neutralité
axiologique qui est le meilleur rempart contre
le manichéisme.
Sur les questions humaines, les questions
sociales, la nuance et le relativisme sont des
principes fondamentaux. On ne le trouve
nulle part dans le texte. Ce texte contrairement au « J’accuse » de Zola qui a été comme
un « craquement d’une allumette dans une
nuit noire » pour parler comme Mbougar, sera
comme les traces d’un chameau dans une
tempête de sable.Un texte écrit rapidement
pour être dans l’air du temps est par nature
éphémère comme le buzz. C’est pourquoi le
texte de Boris, Felwine et Mbougar est un
texte éminemment politique pour ne pas dire
fondamentalement partisan.
Tellement partisan que la mémoire choisit
le fagot des conséquences (situation actuelle)
et refoule le fagot des causes (un projet insurrectionnel).
Il est étonnant qu’on cherche à enfouir dans
« la plus secrète mémoire des hommes » les
appels permanents à l’insurrection de Sonko
qui menace le Président de la République de
mort, appelle les jeunes à aller le déloger au
Palais sans oublier les menaces et les insultes
contre les magistrats et les généraux. Celui
qui « sème les graines de la discorde et de la
violence », comme vous dites, est celui qui
appelle au meurtre du Chef de l’Etat, demande aux jeunes d’aller le déloger, terrorise
les magistrats et qui corrompt les jeunes et
les adolescents en les fanatisant pour en faire
des boucliers humains pour se soustraire à
la justice dans des affaires strictement privées
et qui traite son accusatrice de guenon atteinte d’AVC.
Et c’est ce Monsieur qui a « la violence et la
peur comme méthode ». Vous faites un transfert purement freudien en écrivant « la première des compromissions consiste à ne pas
nommer ce qui est, à l’esquiver, à l’euphémiser, à le diluer par des tours de passe-passe
sémantiques ou tout bonnement à travestir
la réalité ».
C’est exactement ce que vous faites quand
votre mémoire choisit le fagot qui lui plait et
esthétise la violence prônée ouvertement par
Pastef au lieu de la condamner. Avec votre
tribune, vous vouliez être dans le rôle de l’intellectuel tapageur comme Zola dans l’affaire
Dreyfus.
Il y a, cependant, une grande différence
éthique entre Zola et vous. Zola avait choisi
le camp du plus faible et vous, celui du fort,
du puissant qui a profité de la double fragilité
psychologique et sociale d’une orpheline.
Elle, aussi, fait partie des « populations déjà
précaires et laissées à elles-mêmes aux prises
avec les problèmes élémentaires du quotidien le plus rude » que vous décrivez.
Ce quotidien rude qui a dû l’amener à Sweet
beauty, ce qui n’est pas le cas de son bourreau. C’est là où se trouve la grande différence
éthique entre Zola et vous. Zola a été avocat
d’une belle et grande cause. On ne saurait
dire la même chose pour un homme politique
accusé de viol dans un endroit sordide. Vous
n’oseriez jamais défendre un tel homme aux
Etats Unis ou en France. La situation actuelle
exige que chacun prenne ses responsabilités,
dites-vous.
L’Etat a pris les siennes pour que justice soit
rendue en toute sérénité malgré les menaces
et la terreur qui a fait désister certains juges.
La justice, le seul service de l’Etat qui porte
le nom d’une vertu, a tenu son rang en allant
courageusement jusqu’au bout.
Comme j’ai commencé avec Birago, terminons avec lui. Il est étonnant que votre mémoire ait ignoré le fagot de l’indignation face
aux saccages des universités qui est par essence le lieu de la pensée et de la tolérance.
Nommons les choses, les fagots de la mémoire de l’Humanité nous rappellent qu’en
1258, quand les Monghols sont entrés à Bagdad, la capitale de l’empire musulman, ils
ont fait deux choses : l’incendie de la bibliothèque et une montagne de cranes. Les nazis
feront la même chose avec les bibliothèques
en jetant les livres au feu. On a une idée du
projet quand on commence par saccager des
universités et bruler des bibliothèques.
Tout de même surprenant qu’un Goncourt,
qu’un prix Neustadt ne s’en émeuvent pas.
Comme je disais dans ma réponse aux 114,
les intellectuels sont libres de faire la même
erreur que Martin Heidegger face aux Nazis
mais l’Etat du Sénégal n’a pas le droit de faire
la même erreur que la République de Weimar
pour la bonne et simple raison quand un intellectuel se trompe c’est juste une hypothèse
qui n’a pas fonctionné mais pour un Etat, c’est
une catastrophe incommensurable comme
l’arrivée des nazis au pouvoir. On connait la
suite.
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