Paroles amères

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Je ne me tairai plus pour retenir l’Histoire de peurqu’elle ne s’évapore. 

Mes yeux exigent ne plus voir l’Humanité repêcher les cadavres, les lambeaux de mort et les destins brisés de jeunes migrants africains dans l’océan deslar- mes, dans les sables brulants du désert 

J’ai décidé de crier haut et fort là où les autres chuchotent et camouflent. Seule

l’indignation me poursuit. 

Ce refus de ne plus supporter ces corps juvéniles inhumés à Ceuta, Mellila, Lampedusa avec un seul et même numéro. Ces images d’enterrement d’afri- cains engloutis par les vagues abyssales de l’océan atlantique.

J’ai vu les visages de leurs mères noyés dans dessanglots sans répit. J’ai enten- tendu leurs hurlements jusque dans les entrailles de la terre, jusque dans lesouf- fle du feu. 

Ma conscience me regarde. Elle m’interpellefurieusement. Pourquoi prendre de tels risques à l’heure où se propagent les vents de la xénophobie ?

Dois-je donc rester bras ballants ? Amadouer ma grande gueule ? N’ai-je qu’une et unique voie:l’inaction ? Quel mince espoir!

Avons-nous encore besoin d’ouvrir les yeux pour savoir que l’Afrique se vide de ses cerveaux et de ses élites. Sa main d’œuvre la plus performante et sa jeunesse la plus dynamique disparaissent sous d’autres cieux. Les vagues abyssales de l’Atlantique. Les sables mouvants du Sahara. Et maintenant sur les plages de mon cher pays.

Pourquoi des milliers de migrants de plus en plus nombreux risquent leur vie, et souvent la perdent en quittant leur pays pour rejoindre l’Europe dont ils rêvent dans des embarcations de fortune, des bateaux-suicides lancés à travers la Méditerranée ?

Seule, la vérité tient lieu d’examen de conscience.Mais si l’Afrique perd sa capacité d’indignation, elle perd son humanité.

Pour autant, tout paraît triste et clair : le parcours sacrificiel et la mort quasi-certaine.

Laissons les fioritures qui masqueraient la vérité pour nommer les choses.

L’effort mérite qu’on rehausse notre niveau d’exigence morale.

Avez-vous été à Ceuta, Melilla ou Lampedusa ? Oui,Lampedusa !

J’y étais. J’ai vu des milliers d’africains, pieds nus, vêtus de survêtements à deux sous, de chemises à trois balles. J’ai parlé à des milliers de pauvres petits gars exténués. Des mots sans importance. 

Ayant droit à un traitement banal, une fois échappant à la mort, quand la chance leur a permis d’atteindre une plage européenne. 

De l’eau, surtout de l’eau, des biscuits salés. Un paquet de vêtements propres : deux bas de jogging, deux maillots et une paire de sandales. 

Chaque regard m’interpellait. Chaque poignée de main me pesait.

J’avais beau rincer ma voix, ma parole était orpheline.

Seul, face à la blessure du temps cruel, j’ai réfrénémon malaise pour ne pas vomir mon zénith de dédain dans les silences du monde.   

Faut-il encore dissuader des dizaines de milliers d’autres personnes de quitter leur misère pour vivre en Europe ? Faudrait-il que 100 000 autres meurentno- yées dans les prochains mois pour qu’on les aide, qu’on les considère comme des êtres humains ? 

Pendant ce temps, les vendeurs de rêves se frottent les mains. Ils déploient leurs activités lucratives, en exploitant sans scrupules et sans honte la détresse descan didats à l’émigration clandestine.

L’Afrique sait-elle ce qu’elle pourrait apporter au monde et ce que le monde attend d’elle ?

Il est maintenant temps qu’elle s’extirpe de son réductionnisme imaginaire et qu’elle cesse de croire que tout se fait ailleurs, chez l’autre.

Face à ce traumatisme actuel, il incombe rapidement, avec une volonté com- mune et farouche, d’avoir le chemin du cœur pour l’avenir de la jeunesse afri-caine.

                                     Mamadou DIALLO

                                 Avocat au Barreau de Paris

                                         docteur en droit

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