Le littoral, l’humain et l’action publique

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Abdoul Karim FOFANA, Ministre de l’Urbanisme, du Logement et de l’Hygiène Publique

L
a gestion du littoral de notre pays et, plus
particulièrement, de la corniche de Dakar
est, depuis quelques jours, au-devant de
l’actualité. Dans une époque dominée de plus
en plus par le futile, l’éphémère, l’instantané,
la recherche de sensationnel, je me réjouis
qu’un sujet aussi important occupe autant de

place dans le débat public. Force est de consta-
ter, toutefois, que ce qui aurait dû être une dis-
cussion de fond entre personnes engagées

dans la seule bataille qui vaille, celle des idées,
se trouve pollué par des gens dont l’unique
motivation est de substituer à la pensée mère
de l’action, les petites querelles politiciennes.
Afin de contribuer à remettre au centre des

préoccupations la réflexion fécondante, je pro-
pose un retour à la sérénité et un recours aux

faits. Pour cela, il me semble important de
convoquer l’histoire.
LA RÈGLEMENTATION À TRAVERS
L’HISTOIRE

L’Etat du Sénégal a aujourd’hui soixante ans
d’existence et les tentatives d’organisation de
l’occupation de son littoral sont plus vieilles

que son accession à la souveraineté interna-
tionale.

Le transfert de la capitale de l’Afrique Occiden-
tale Française de Saint-Louis à Dakar, en 1902,

a permis l’élaboration du premier Plan Directeur
d’Urbanisme (PDU) pour Dakar en 1946, par
Lopez, Gutton et Lambert, qui sera modifié en
1957 puis remplacé par celui de 1967 dénommé

Plan Ecochard. Sur cette base un Plan d’Urba-
nisme de Détails (PUD) a été élaboré pour la

corniche de Dakar et approuvé par décret. Ses
principales orientations étaient l’interdiction

de prise de possession d’assiettes et l’autori-
sation d’installations précaires et révocables

ou de constructions légères et démontables.
Vingt ans après le Plan Ecochard – durée de vie
d’un PDU – une révision a été entamée dans

les années quatre-vingt. Le PDU de Dakar ho-
rizon 2001 reprenait dans ses grandes lignes

celui de 1967 surtout pour ce qui concernait
les zones de la commune de Dakar dont le bâti

était déjà dense et la morphologie quasi défi-
nitive. Ce plan n’a pas été approuvé par décret.

Durant cette période, a été construite dans le

périmètre de la future commune de Dakar Pla-
teau, sur la corniche ouest, la première maison

qui surplombait l’atlantique marquant le début
de l’agression de cette zone dont la convoitise

introduisit rapidement une forme de compé-
tition.

En 2000, le PDU de Dakar de 2001 est remplacé
par celui fixé à l’horizon 2025, suite logique des
plans successifs qui ont défini, selon les
époques, les grandes lignes du développement
physique de l’agglomération dakaroise.
AUTORISATIONS DÉLIVRÉES AVANT 2012
Deux ans plus tard, le ministre de l’Urbanisme
et de l’Aménagement du territoire mettait en
place, par arrêté ministériel n°529 en date du

22 janvier 2002, la Haute Autorité pour l’amé-
nagement de la corniche de Dakar.

Entre 2002 à 2012, des aménagements sur la
route de la corniche ont été réalisés décuplant
l’intérêt pour une zone déjà très convoitée. De

nouveaux hôtels sont construits, ceux déjà exis-
tants sont rénovés voire agrandis et des mai-
sons sortent de terre suite au déclassement

de certaines parties et malgré l’élaboration
d’un PUD, certes non approuvé par décret,
ainsi que la révision de plusieurs règlements
particuliers d’urbanisme en rapport avec la

corniche. On peut citer les règlements parti-
culiers de la zone des Almadies, de Dakar-Pla-
teau et du Point E qui bénéficiaient d’un décret

d’approbation.

Les baux, durant cette décennie, ont été oc-
troyés et les autorisations de construire dé-
livrées par des autorités gouvernementales

et des maires membres d’organisations po-
litiques aujourd’hui adversaires de notre ma-
jorité. En effet, la procédure en la matière

obéit aux étapes suivantes : un décret de dé-
classement pris par le président de la Répu-
blique sur avis favorable d’une commission

dirigée par le Gouverneur territorialement

compétent, un avis favorable de la Commis-
sion de Contrôle des Opérations domaniales

(CCOD), la délivrance d’un bail par les services
des domaines, un examen des plans de

Le littoral, l’humain et
l’action publique

construction par les services d’urbanisme,
une autorisation de construire par le maire
de la commune concernée.
L’ACTION DU PRÉSIDENT MACKY SALL
En 2012, à la faveur de l’élection du Président
Macky Sall, une procédure de révision a permis
la production du PDU de Dakar et ses environs,

horizon 2035, caractérisé par une approche in-
clusive tenant compte des aspects liés aux

concepts de villes durables et résilientes.
Faisant preuve d’exemplarité, le Chef de l’Etat
a rendu une parcelle qui lui avait été attribuée
sur la corniche, a retiré un titre délivré à un
pays ami pour la construction d’une résidence
diplomatique, s’est rendu sur la corniche pour
constater la situation et a demandé à l’Ordre
des architectes de lui proposer un projet
d’aménagement qui est attendu depuis 2014.

Sa détermination à apporter une solution dé-
finitive s’est parfois heurtée à la multiplicité

des acteurs et à leurs difficultés à travailler en
synergie.

Au-delà du littoral, le Président Sall est sen-
sible aux défis environnementaux tels que

la pollution marine – le vote de la loi sur l’in-
terdiction du plastique est aussi lié à cette

préoccupation -, la dépollution de la Baie
de Hann dont le financement est ficelé ainsi
que la reforestation.
ORGANISER L’OCCUPATION

Il faut rappeler que nous avons, à travers l’his-
toire, toujours eu des populations habituées

à vivre en bord de mer : les pêcheurs tioubalo

peulh, niominka sérère, lébou, certains ha-
bitants historiques de zones côtières etc. Il y

a aussi des occupations d’ordre économique,
d’utilité publique et d’intérêt général.
La réalisation de réceptifs hôteliers est, par

exemple, importante pour le tourisme, sec-
teur qui contribue de manière significative

au PIB national et dont l’apport sera encore
plus déterminant en cette période de relance
économique liée à la Covid19. Le problème
réside surtout dans les affectations privées
concédées, parfois au mépris de la loi, qui
sont à dénoncer et à combattre.

Se lancer, aujourd’hui dans des actions pu-
nitives ne relève pas du bon sens. Nous avons

assez d’espace pour rendre accessible la cor-
niche. Il est impossible de ne pas occuper. Il

faut organiser, aménager les parties non oc-
cupées. Il y a une occupation égoïste et une

occupation d’intérêt public équitable quant
à l’accès des populations à la mer.
Des centres commerciaux de Copa Cabana,
par exemple, aux hôtels de La Rochelle en
passant par les aménagements payants de

la corniche d’Abu Dhabi, tous les pays dispo-
sant d’un atout littoral l’exploitent selon des

Si nous voulons un développement harmo-
nieux et durable de notre pays, nous devonséviter de nous émouvoir de manière populisteà propos de l’investissement étranger et ac-
cepter d’accueillir les porteurs de projets d’oùqu’ils puissent venir.

ratio hôtels – accès public – plages de pê-
cheurs – aménagements etc. L’enjeu résidedans l’optimisation de cette exploitation.

ACCUEILLIR L’INVESTISSEMENT
EXTÉRIEUR

Cela, quitte à exiger léga-
lement une participation, jusqu’à un certain

niveau, de privés nationaux dans tout inves-
tissement venu de l’extérieur. A défaut, le Sé-
négal sera une terre d’opportunités non ex-
ploitées et un terrain de chasse pour les

spéculateurs. Dans les années 2000, on a beau-
coup parlé de scandales fonciers. Celle liée à

des investissements à Mbane avait, par exem-
ple, connu un grand retentissement. Au-
jourd’hui, malgré les déséquilibres constatés

dans les modalités de concession à certains
privés, cette commune est devenue une grande
plateforme où des opérateurs venus d’autres
parties du monde réalisent une production
agricole de qualité.
Les populations travaillent avec eux dans une

harmonie parfaite et un développement éco-
nomique local inspirant. A côté de l’agriculture

familiale et vivrière, un tel modèle est à pro-
mouvoir, dans le respect strict des règles ga-
rantissant l’intérêt national et sans se soucier

de la propagation de fake news et de faits al-
ternatifs inhérents à l’époque.

ESQUISSE D’UN FUTUR HARMONIEUX
Après avoir convoqué l’histoire, il nous faut
ainsi esquisser le futur, faire une projection sur
l’avenir de notre corniche et de notre littoral.
Ma conviction est que la prise en charge de
cette question nécessite, après l’état des lieux

physiques déjà effectué et la concertation ou-
verte avec les acteurs, l’adoption de mesures

prioritaires que sont : la signature d’un décret
déclarant d’utilité publique l’aménagement et
la restructuration de la corniche, prescrivant

les mesures de sauvegarde et autorisant l’éla-
boration d’un nouveau Plan d’Urbanisme de

Détails, l’élaboration du Plan participatif d’amé-
nagement et de développement durable de

la corniche ouest, la mise en œuvre du projet
d’aménagement et de restructuration de la
corniche ouest.

Ces mesures nécessaires rentrent dans une vi-
sion voulant que la corniche de Dakar et, de

manière générale, nos 760 kilomètres de littoral
soient préservés afin de confirmer le constat
de l’architecte allemand Jochen Brandi qui,
rapporte mon ami Moctar Ba, président de la

Plateforme pour l’Environnement et la Réap-
propriation du Littoral, ébloui par ses formes

remarquables, estime que le potentiel de la
corniche de Dakar va bien au-delà de Central
Park à New York, du Bois de Boulogne à Paris

ou des 3000 parcs pour les trois millions d’ha-
bitants de la ville de Vienne.

RENFORCER L’ACTION PUBLIQUE

Sans une action publique forte, sans détermi-
nation politique, il sera impossible d’exploiter

efficacement ce potentiel. L’action de la société

civile et des lanceurs d’alerte est utile. Cepen-
dant entre les manipulations et, parfois, les

tergiversations politiques, nous risquons de
tuer l’action publique.

Si nous laissons la responsabilité de cette ac-
tion à des lanceurs d’alerte souvent peu ou

mal informés des tenants et aboutissants et
en proie, de bonne foi, aux manipulations,
nous la tuons. Les hommes politiques n’auront
plus d’utilité puisque la dictature de l’opinion
sans preuves et de l’émotion facile leur fera
fuir la responsabilité de rétablir les faits et de
poser des actes pour le mieux-être de tous. Il
s’agit là d’un défi générationnel. Nous avons
été élus pour mettre en œuvre des politiques
publiques. Nous devons avoir le courage de
dire aux populations la vérité, de les informer
sur l’intérêt véritable de notre pays. L’Etat a

le devoir d’être transparent, organisé, métho-
dique mais l’Etat ne doit pas manquer de vo-
lonté pour réaliser des projets utiles à l’en

commun.
Ma vision est qu’il nous faut bâtir des villes où
l’humanité fait sens, des villes qui se soucient
de l’humain dans l’urbain. Cela passe par la
valorisation de nos meilleurs atouts. Il nous
faut planifier la ville en concevant les espaces
publics et les usages comme lieux de créativité
et d’inclusion, la construire dans une continuité
de temps et d’espace en agissant sur la forme

urbaine et en anticipant sur les extensions ur-
baines, la définir comme un bien commun.

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