GÉRARD BOSIO
« La création d’un Grand musée
Senghor est un impératif pour
l’Afrique »

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Chantre de la Négritude, philosophe de la Civilisation de l’universelle et du dialogue des Cultures, Léopold
Sédar Senghor laisse un héritage politique et culturel exceptionnel.
Gérard Bosio, qui a été son conseiller culturel, s’est donné pour tache de réunir toutes les bonnes volontés
pour la création d’un grand musée Senghor à Dakar.

On vient de rendre hommage à Senior en
France et au Sénégal, à l’occasion du 20ème

anniversaire de sa disparition. Vous avez
pu assister aux deux cérémonies à Paris,
puis à Dakar. Qu’en retenez-vous?

Les qualités, réalisations et créations actées,
tant de l’homme d’histoire, du politique que du
créateur littéraire, et penseur du XXe siècle, lui
ont valu de multiples hommages depuis un
demi-siècle. Rappelons-nous les gestes, les
mots, à son départ il y a vingt ans à Dakar, puis
l’hommage de l’Afrique rassemblant une cohorte
de Chefs d’États et d’institutions internationales

au Togo en 2004, comme du millier de mani-
festations à travers le monde pour célébrer le

centième anniversaire de sa naissance en 2006!
Dès mai 1968, j’assistais déjà à des hommages
rendus, comme celui de la Ville de Saint-Louis.

J’éprouvai émotion et respect pour ces mani-
festations lorsqu’il était en exercice, mais plus

encore pour les satisfecit qu’il reçut après son

retrait de 1980. Et ce notamment pour la célé-
bration de son 90e anniversaire, à l’UNESCO,

pour les grandes expositions et conférences de

2006 consacrées à l’illustre humaniste vision-
naire, comme au créateur littéraire et politique

de la nouvelle Afrique. Il faut aussi retenir l’una-
nimité d’admiration qui lui est témoignée, pour

l’importance de son œuvre, ses vies et l’accom-
plissement de l’exemple qu’il demeure pour la

jeunesse et les acteurs politiques. Aujourd’hui
à Paris comme à Dakar, on retiendra de ce 20e
anniversaire cette nouvelle unanimité d’estime

comme l’adhésion de chacun au devoir de mé-
moire. S’exprime aussi la volonté des auteurs à

militer pour la transmission des valeurs et en-
seignements d’un grand pionnier, un des Pères

fondateurs de l’Afrique nouvelle et d’une Civili-
sation de l’Universel. Ainsi est venu ce temps

des possibles, celui qui permet de réunir ceux

qui furent des adversaires opposants ou igno-
rants de qualité. Ils s’accordent maintenant à

redécouvrir et honorer les qualités et créations

fondamentales senghoriennes. Là est l’hom-
mage profond et historique à l’illustre africain.

On ne l’a pas encore dit, ces hommages se sont
multipliés dès 2021, au sein des universités
dont il fut docteur honoris causa et titulaire de

chaire, au sein de villes dont il est citoyen d’hon-
neur ou visiteur, auprès d’académies, d’asso-
ciations et fondations culturelles (Université de

la Sorbonne, Assemblée des parlementaires de

la Francophonie, Ville de Paris, Nice, Milan, Ca-
nada, …). Et combien de nouveaux ouvrages

et publications de presse qui lui sont consacrés.

Pensez-vous que l’action politique de Sen-
ghor et ses créations poétique, littéraire,

politique et philosophique intéresse tou-
jours les hommes d’Etat africains et les In-
tellectuels de la nouvelle génération dans

le monde ? Si oui, pour quoi ? Si non pour
quoi ?
Selon le mot du poète, je préfèrerai parler de la

“puissance créatrice” de Senghor tant en poli-
tique, qu’en philosophie ou création littéraire.

Assurément, cette puissance et ses résultats

sont tels que tout responsable de toute géné-
ration en Afrique comme ailleurs, pourront y

faire référence. Il s’agira de s’en nourrir, voire de
s’y opposer avec de grands arguments, pour

mieux éclairer et construire les avenirs de cha-
cun. Ainsi apparaît l’opportunité nouvelle d’une

bonne utilisation des mêmes forces d’intelli-
gence, connaissance et humanisme que ce

grand passeur a découvert et pratiqué. Il y aura
toujours un intérêt des responsables de ce
monde pour découvrir et pratiquer les chemins

empruntés et maîtrisés par L. Senghor. Heureu-
sement, il ne fut pas seul. Depuis longtemps,

de grands hommes apparaissent : on les appelle

les faiseurs d’histoire. Ils pratiquent, à son exem-
ple et celui des maîtres anciens la transcen-
dance, l’honneur, la fidélité, parfois l’utopie. Ils

peuvent aussi se faire, comme Senghor, des

chantres de l’Universel. Ce mot est l’un des dia-
mants de la langue senghorienne. Pour vous

répondre, tout un chacun dans les crises d’hier
et d’aujourd’hui, à l’image de Senghor, devrait
trouver en l’autre ses valeurs en partage. « Les
valeurs de chaque société et civilisation pour
les apporter en partage au festin de paix d’une
civilisation de l’Universel. » Plus encore, on se

doit de connaître son expérimentation et utili-
sation de l’outil qu’il pratique en maître : le dia-
logue des cultures. Il en fit même un outil de

diplomatie, de politique étrangère. Il a démontré,
comme le font E. Morin et d’autres philosophes,
d’un devenir possible si la culture et l’estime de
l’Autre prennent enfin leur place méritée, celle
du fondement d’une nouvelle Civilisation de

l’Universel, nourrie des reconnaissances et va-
leurs de culture reconnues de chacun. Ainsi ces

hommages deviennent aussi des outils de trans-
mission de la vision Senghorienne, tant pour la

création continue d’une Nation, que de la re-
découverte du chemin de la reconnaissance.

Le Sénégal dispose, comme tant de nations, de
sa part de souffrance, d’espoir et d’attente. Se
référer aujourd’hui à Senghor permet de nourrir
une éducation, une formation, une transmission,
une conservation de patrimoine unique, au
profit de la jeunesse, du respect des anciens et
des créateurs d’œuvres de beauté.

Vous êtes dépositaire de nombreux docu-
ments et œuvres que Senghor vous a confiés

ou donnés. Qu’en faites-vous ?
De goût, formation et tradition familiale, attiré
par l’art, la peinture, la littérature, pratiquant
l’archéologie et l’ethnographie, je me suis
adonné très tôt à la constitution de collections

et recherches d’art et sujets d’histoire. Je fus fa-
vorisé par ma famille d’historiens et responsa-
bles publics, mes voyages et rencontres. Ce fut

le cas dès ma première rencontre, en 1968, avec
Léopold Senghor, initiée par son ami Georges
Pompidou. Pendant trois décennies, j’ai recueilli,
recherché, collectionné, acquis, reçu en don, et
cela à titre personnel et travaux des documents,
livres, œuvres d’art, souvenirs témoignages de

son œuvre littéraire et politique. Depuis ma pre-
mière rencontre avec Léopold Senghor, dès la

production de travaux de création pour lui à ses
côtés, je fais acquisition de tout document, livre,

œuvre d’art, souvenir, issus de son œuvre litté-
raire ou de son parcours historique. Ma famille

d’historiens et d’hommes d’action m’ont trans-
mis «la passion » pour l’histoire, la terre et l’at-
traction des œuvres de beauté. Nous sommes

ces collectionneurs qui souvent ont fait œuvre
certes de recherche, mais aussi de sauvegarde
de patrimoine, en constituant en jardin secret,
hors des échanges commerciaux, des « fonds
et collections littéraires et artistiques ». C’est le
Président-Poète qui, dès 1969, lorsque j’ai réalisé
le premier ouvrage d’art avec son œuvre m’a,
le premier, aidé à constituer ma bibliothèque
personnelle comme mes collections. Ses amis
proches, des membres de sa famille, les artistes
que je lui présentais, avec les éditeurs d’art et

spécialistes du monde Senghorien, m’ont ap-
porté avec son accord les meilleurs dons et

concours. Et quel souvenir et rendez-vous « du
donner et du recevoir » lorsque, dès 1969, je

commençais à constituer de nouvelles collec-
tions d’œuvres d’art et documents du poète et

du Président, que je réalisais ou récoltais moi-
même! Pendant trois décennies ans, avec l’aide

de scientifiques, amis et du Président-poète, en
créant ou participant à plus de vingt éditions
des textes et poésies, j’ai pu constituer ainsi un
fonds littéraire et artistique muséographique.
Comme moi, de nombreux chercheurs experts

l’on fait seul, avec leurs propres moyens et sen-
timents. Des témoignages publics, aucune étude

ni travail comparables ne furent entrepris. C’est
en cela que ces collections et travaux personnels
furent utilisés par Léopold Senghor, selon son

choix bien connu des siens et experts, pour réa-
liser, en public, les grandes expositions admi-
nistratives, sur sa vie et son œuvre, entreprises

au Sénégal comme dans le monde. Enfin, pour
certaines pièces essentielles pour ces collections
ou l’histoire de l’œuvre, ont été acquis dans les

ventes publiques ou auprès des galeries spé-
cialisées. De cet ensemble, un catalogue rai-
sonné fut établi avec Léopold Senghor et des

chercheurs ayant entrepris des travaux parallèles
et complémentaires. Les meilleures conclusions
à ces actes et recherches de collections privées
furent les manifestations, expositions, tant pour

les expositions présidentielles et littéraires Sen-
ghoriennes de 1973 à 1980, que les manifesta-
tions dans les institutions, musées, administra-
tions et rencontres avec les chercheurs,

scientifiques, avec qui nous avons exposé les
fruits de ces collections sous le regard attentif
de Léopold et Colette Senghor. Et n’ont pas
manqué à ces hommages et présentations les
grandes personnalités sénégalaises, les Chefs
d’État A. Diouf, A. Wade, les Premiers ministres
M. Niasse, Dione, des ministres de la Culture et
aujourd’hui le Président Macky Sall. Ainsi, pour
mémoire, il en fut en 1977 à l’inauguration du
Centre Georges Pompidou : une exposition de
ces pièces de la collection avait eu lieu devant
tous les Chefs d’Etats et spécialistes réunis et
ébahis. Léopold Sédar Senghor était lui-même
présent !
En témoignage de fidélité pour le Sénégal et
pour la constitution de son patrimoine national,
comme pour nourrir les musées et institutions

qui sont attachés à l’œuvre de Senghor, à l’étran-
ger comme au Sénégal, ont été accomplies plu-
sieurs donations d’œuvres et documents issus

de ces collections initiées par Léopold et Colette
Senghor. Ainsi au Sénégal, donations officielles
ont été faites en 1980, 2006, 2011 et 2016 : livres,
documents, objets et œuvres d’art ont été offerts
au Ministère de la Culture et à la Présidence de

la République aux fins de créer un lieu de mé-
moire, d’étude, de conservation et d’exposition

des grands témoignages de productions litté-
raire, artistique et historique du Poète-Président.

Aujourd’hui dans cette continuité, pour la nou-
velle installation d’un grand musée pérenne et

international à Dakar, est préfiguré l’aménage-
ment et la création d’un nouvel espace muséal

qui pourra recevoir les donations de collections

adéquates, pour un musée de classe interna-
tionale et témoin d’un Universel. Son équipe-
ment de conservation et sécurité sera à la me-
sure de l’importance de sa mission et de ses

œuvres. Ainsi j’ai l’espoir d’accomplir mes vœux
d’offrir des pièces de collections personnelles

recueillies, acquises, éditées, accompagnées

de certaines qui ont été offertes par le Prési-
dent-Poète.

Vous dites « qu’en faites-vous ? » Je vous ré-
ponds, comme tout collectionneur propriétaire

et éditeur privé qui se doit de respecter les œu-
vres qu’il a rassemblées, l’affection qu’il leur

porte comme à ceux qui les ont aimées : « il

faut être au rendez-vous du donner et du re-
cevoir». Je réponds que j’ai souhaité un destin

noble et possible à mes travaux et collections,
en répondant aux souhaits de sauvegarde et
de fidélité confiés par un Mentor. On peut tout
faire pour soi-même et pour les siens. J’ai voulu
rêver à un Musée Senghor, comme celui de

Victor Hugo ou Aimé Césaire. Je l’ai aussi sou-
haité et proposé aux proches amis, membres

de la famille, chercheurs et analystes de l’œuvre

de Senghor. Ainsi, la récolte fut belle, avec ma-
nuscrits de poésie, lettres, livres, œuvres d’art,

objets d’art et d’histoire qui ont été offerts et
réunis pour être entièrement sauvés, en un
musée L. Senghor, qui disposera des moyens
scientifiques de conservation et sécurité. Un
sous-main historique de Léopold Senghor, le
manuscrit original d’une Élégie de la grande
édition de bibliophilie d’art qui en est issue,
des dessins et peintures originaux des artistes
qui ont créé des œuvres pour illustrer les mots
du poète, des sculptures africaines analysées
par l’homme du dialogue des cultures, des
peintures contemporaines sénégalaises que
Léopold Senghor a choisi pour figurer dans la
première exposition d’Art sénégalais au Grand
Palais de Paris et dans les musées du
monde peuvent faire partie de ces donations.

Il en est de même pour des photographies his-
toriques qui racontent l’homme, sa famille, sa

vie publique, sa vie littéraire. Ce chemin est
long et difficile car les unités de temps ne sont
pas les mêmes pour les différents intervenants
et notamment pour l’État, seule entité capable
d’assurer la pérennité et la sauvegarde dans
la plupart des pays du monde.

La vente de biens personnels appartenant
à la famille Senghor a soulevé une certaine
indignation au Sénégal. Qu’est-ce qui s’est
vraiment passé ?

Chaque vente d’œuvres d’art ou propriétés im-
portantes de familles connues provoque des

indignations. Il y eut ainsi des inconvenances

et souffrances devant la dispersion des patri-
moines familiaux et historiques. Pour les biens

personnels senghoriens, il ne s’agit pas de vente

d’indivision ou de conflit. La vie de Léopold Sen-
ghor et de ses proches a toujours été en re-
cherche de dignité et de qualité. Avant sa mort

déjà, deux de ses fils avaient perdu la vie. Puis
il en fut de son épouse, et après elle il en fut de
sa sœur, son héritière. Elle-même sans famille,
elle a choisi librement de sa nouvelle héritière.

Ainsi existe une lignée légale d’héritiers, qui cha-
cun a libre choix, dans le cadre de la loi, de

choisir ou de subir les règles d’héritage. Ce qui
s’est passé peut générer du regret, de la peine.
Je pense, heureusement comme beaucoup,

que ces sujets appartiennent à l’intimité fami-
liale, sans arriver aux tergiversations de la rue

et des rumeurs. Retenons la pensée de ceux
qui, dans la réserve, par leurs liens et proximité,
peuvent témoigner que la recherche du Bien
et du Beau a toujours prévalu dans la vie de ce
grand Sénégalais.
Vous avez à cœur la création d’un musée
Senghor au Sénégal. Où en est ce projet ?

Un véritable Musée Senghor, en plus d’un écri-
vain, un illustre poète, humaniste, homme his-
torique, homme politique, homme de l’art et

de l’esthétique – un artiste vivant – quelle com-
paraison de création avec un autre homme po-
litique, grand poète et homme phare des Arts

et des Lettres, pourrait être établie sur ces deux
derniers siècles ? Sur plusieurs continents et à

l’échelle de toutes ses vies vécues, un seul de-
meure : Victor Hugo, poète, homme de Lettres,

homme politique et historique, et de plus artiste

peintre. Pour Victor Hugo existent plusieurs mu-
sées, mais surtout plusieurs maisons ; autant

de lieux muséaux où il exerça, où toutes les dis-
ciplines et créations faites pour lui sont exposées,

sauvegardées et vivent en musées. À la mesure
de notre temps, contre l’oubli, pour l’éducation
et la transmission, pour traduire la grandeur et
la beauté du Sénégal et accompagnent le Musée
des Civilisations noires, conçu et préparé par
Léopold Senghor dès 1966, s’ouvre la voie pour
recevoir ainsi un musée de classe internationales
unique en Afrique. Tout un chacun nous quittons
ce monde plus ou moins vite, plus ou moins
bien. Vous appelez ce musée un projet, je veux

croire, avec tous ceux restés et devenus sen-
ghoriens et fiers des Pairs du Sénégal, qu’enfin

aujourd’hui ce mot de « projet» soit remplacé
par celui d’«installation». Tout est maintenant

devenu possible pour les conservations, obten-
tion de donations, installation, accrochage, sé-
curité et animation.

Quel message ultime de Senghor souhai-
tez-vous passer à la jeune génération afri-
caine ?

Lisez et relisez les derniers écrits de Léopold
Senghor : sa dernière lettre à la jeunesse, dont
le Président m’a offert à Verson une fac simile
le jour de l’inauguration de l’espace Senghor
pour lequel j’avais moi-même, à la demande
du poète, offert mes propres livres et œuvres

d’art pour en accompagner les murs. Cette ul-
time Lettre à la jeunesse, un message d’espoir

pour construire une civilisation de l’Universel
en plaçant la culture et les valeurs de chacun
au cœur de l’édifice. Léopold Senghor avait
déjà évoqué cet essentiel lorsque nous avons
édité, avec le Président Moustapha Niasse et
M. le Secrétaire général Kofi Annan. Elle est
moins connue que sa poésie utilisée pour un
programme de l’ONU. C’est un outil mondial

destiné aux jeunesses du monde pour l’ensei-
gnement et l’éducation des Droits de la Liberté.

Dès 1969 avec René Cassin, prix Nobel de la
Paix, L. Senghor a soutenu la convocation de
plus de cent artistes des cinq continents pour
promouvoir la DUDHC en l’illustrant. Ainsi, les
jeunesses du monde découvrent et partagent,
comme les artistes, les valeurs fondamentales
de la plus grande charte humaniste mondiale
de notre Histoire. Ceci est une conclusion pleine
d’espoir, car ces hommages, ces expositions et
nouvelles productions littéraires, comme cette
progression ver un nouveau Musée Senghor,
avec ses nouvelles collections d’œuvres d’art
et d’histoire, démontrent de la place première
que l’émérite Léopold Sédar Senghor vient
prendre dans les mémoires et la construction
de nos futurs.
Un espoir ainsi demeure pour la transmission

de ses valeurs, pour la sauvegarde de ses créa-
tions et la conservation du patrimoine sengho-
rien, sénégalais, africain et devenu universel.

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